Revenu de base : solution ou aspiration ?

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La crise économique du Covid-19 pose la question de la sécurité des revenus. Ceci relance l’idée du revenu de base que ses partisans remettent en débat. Il faudra une majorité pour que celui-ci voit le jour et il est fort probable que celle-ci s’obtienne au détriment de son montant, le transformant ainsi en revenu de subsistance. Comment échapper à cette impasse ?

Dans la crise économique du Covid-19, beaucoup se plaisent à remettre sur la table la proposition de revenu de base qui se définit comme « un revenu versé à chaque individu membre d’une communauté politique donnée, sans condition ni contrepartie. » L’exemple de l’Espagne ou des États-Unis laissent penser que le mouvement vers le revenu de base serait de facto entamé et présenté comme une des solutions à la crise sociale qui touche nos économies. Pourtant la réalité nous montre combien les projets proposés dans ces pays n’ont pas grand-chose à voir avec le revenu de base. En Espagne comme aux États-Unis, il s’agit de verser des chèques à celles et ceux qui sont dans l’incapacité d’assurer leurs besoins alimentaires de base, situation provoquée par les licenciements massifs qui ont été opérés par les entreprises suite à l’inactivité imposée par la crise sanitaire. Ce n’est donc nullement un revenu inconditionnel distribué à chaque individu « sans condition », mais bien un revenu conditionné par une situation financière difficile, ce qu’un article de Leire Ricón, doctorante en sciences politiques à l’université de Barcelone, publié sur le site du Basic Income Earth Network (BIEN) a clairement démontré.

Le revenu de base comme projet de transformation sociale ?

ossiTrès récemment, une tribune « Revenu de base : l’urgence d’une société plus solidaire » signée par 16 associations et 24 personnalités et publiée le 2 avril 2020 dans Politis, présente le revenu de base comme étant partie prenante d’un choix de société à l’issue de la crise du Covid-19. Cette tribune expose clairement un distinguo entre des mesures d’urgence qui apparaissent comme une « roue de secours au néolibéralisme » et une approche qui renforce « les filets de protection sociale grâce à la mise en place d’un revenu universel, intégré dans un projet de transformation à long terme ». Cette dernière phrase pose le revenu universel comme un outil de renforcement des filets de protection sociale, donc une solution immédiate, tout en l’inscrivant dans un projet de transformation sociale à long terme.

Dans le projet de transformation sociale, il y a l’aspiration à un revenu qui permette de vivre décemment sans avoir l’obligation de trouver un emploi. Plusieurs justifications peuvent être données à ce revenu. Il peut permettre de démarrer une nouvelle activité en toute indépendance sans avoir à rechercher trop de financements. On peut aussi valoriser que toute personne apporte à son entourage un bien-être et défendre l’idée que même sans emploi, toute personne est utile à la société. Enfin, ce revenu universel peut être vu comme étant le moyen d’être exigeant vis-à-vis de la qualité des emplois proposés : grâce à celui-ci, on ne sera plus obligé d’accepter le premier emploi venu et cela permettra de revaloriser les emplois dont personne ne veut. Il y a donc un côté émancipateur à ce revenu universel qui ne peut pas être nié, à la condition toutefois que son montant soit significatif, et c’est ici que se trouve toute la difficulté.

Une majorité pour un revenu de base au rabais

Pour que les partisans du revenu universel aient une quelconque chance de voir leur projet adopté, il va bien falloir construire une majorité. L’objection qui est généralement faite par les opposants au revenu universel est la fracture de la société en deux pôles, entre celles et ceux qui sont en situation d’emploi et celles et ceux qui ne seront pas en emploi. Même si le revenu est universel, c’est-à-dire garanti à toutes et tous que l’on soit ou pas en emploi, ceci signifiera forcément que les personnes en emploi se verront prélevées plus que ce qu’elles ne recevront avec un argument, certes discutable, mais assez imparable : pourquoi une partie de mon revenu devrait-il être versé à des personnes qui ont décidé de ne pas travailler ? Du coup, pour obtenir une majorité, il va falloir déplacer un curseur et celui-ci est le montant de ce revenu universel. Plus celui-ci sera faible et plus une majorité sera possible. Mais du coup, c’est tout le côté émancipateur du revenu universel qui disparaît. Cela ne sera plus un revenu qui permettra d’assurer une indépendance à tous les individus mais un revenu de subsistance pour celles et ceux qui se trouvent de facto hors emploi et protection contre le chômage.

Quel est le point d’achoppement ? L’inconditionnalité qui est au cœur de l’aspiration au revenu universel. Il faut se rendre à l’évidence : il n’y a pas aujourd’hui de majorité pour supporter cette inconditionnalité ou s’il y en a, cela se fera au rabais sur le montant. Ceci ne veut évidemment pas dire que cela sera toujours le cas. L’aspiration au revenu universel est légitime et ses partisans ont raison de le promouvoir. Mais dans l’immédiat, que faire ?

Inconditionnalité vs. montant ?

Si un arbitrage doit être fait entre inconditionnalité et montant, c’est donc ce dernier qu’il faut privilégier et soumettre la perception de celui-ci à la présence de la personne en emploi. C’est le sens du Salaire minimum socialisé (SMS) : assurer que l’entreprise touchera le Smic (avec l’ensemble des cotisations sociales) pour chaque personne en emploi. Il ne s’agit bien sûr pas d’un « cadeau » fait aux entreprises puisque cette mesure prendra la forme d’un nouveau régime de sécurité sociale obligatoire auquel toutes les entreprises seront affiliées et qu’elles financeront cette allocation par un prélèvement sur la différence entre les encaissements de ventes et les paiements de fournisseurs. Sur la base des données INSEE de 2019, il faudra prélever 54 % de ces flux pour assurer le salaire minimum pour toute personne en emploi.

Du point de vue solution, un tel système est capable d’assurer le plein emploi puisqu’une partie du revenu des entreprises est garanti par le simple fait de la présence de personnes en emploi, le tout sans que cela ne nous coûte absolument rien puisque financé par les entreprises elles-mêmes. Avec un tel système, nous bouleversons totalement les règles du marché de l’emploi : alors que dans le passé, l’offre d’emploi était rare et les demandeurs nombreux, nous aurons désormais la situation inverse où les entreprises seront à la recherche d’individus. Cela permet d’ailleurs de résoudre au moins deux de trois bénéfices que nous avions attribués au revenu universel : la possibilité de démarrer une activité tout en ayant des revenus et celle de refuser des emplois jugés dégradants pour le salaire proposé.

Le Salaire minimum socialisé (SMS), une première étape vers le revenu universel ?

Le SMS peut-être vu comme une étape possible. Une des inconnues du revenu universel a toujours été son financement. Le SMS offre la réponse en prélevant directement sur la production. Pour que le SMS évolue vers le revenu universel, il suffit alors que les prélèvements ne soient plus distribués aux entreprises mais directement aux individus. Dans l’immédiat, parce que le SMS ne pose pas l’inconditionnalité comme principe intangible, il a un potentiel majoritaire qui permettrait une mise en œuvre probable.