Pourquoi Macron a rejeté une taxe bénigne de 4 % sur les dividendes ?

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Emmanuel Macron a rejeté une taxation de 4 % des dividendes, une mesure indolore pour des personnes qui n’ont nullement besoin de dividendes pour vivre. Derrière cette décision, une volonté de s’appuyer sur l’investissement privé. Mais une taxation de 90 % serait-elle plus justifiée ? Pourquoi laisser se former les profits pour les reprendre ensuite ?

En recevant les participant.es de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) à l’Élysée, Emmanuel Macron a retoqué 3 des 149 mesures proposées : la réécriture du préambule de la Constitution, la limitation de la vitesse sur autoroutes à 110 km/h et la taxation des dividendes à 4 % pour financer la transition écologique. La première mesure touchait à la constitution et aurait été l’occasion d’un débat citoyen passionnant, débat guère possible dans cette Cinquième République où tout changement constitutionnel passe par l’approbation des deux chambres. Une décision qui justifie une fois de plus, non pas une modification mais une rupture, un changement de constitution. Emmanuel Macron a jugé péremptoirement que les français.es n’étaient pas prêts pour une limitation de la vitesse à 110 km/h. Il eut été au contraire intéressant de poser cette question dans le cadre d’un référendum : une occasion extraordinaire de débattre du lien de notre rapport au temps en phase avec l’enjeu du réchauffement climatique. Dommage. Troisième refus : la taxation des dividendes des sociétés à hauteur de 4 %. Une taxation plus que raisonnable : 4 %, cela laisse quand même 96 % du montant des dividendes aux actionnaires ! Cela aurait pu être 20 % ou plus compte tenu des enjeux. On reste vraiment très loin d’un Thomas Piketty qui n’hésite pas à parler de taux de taxation de 90 %…

Il faut dire que cette CCC a été très sage. Elle devait au départ proposer 150 mesures. Il n’y en a que 149 parce qu’une a été retirée en amont : la perspective de passer à 28 heures par semaine d’ici à 2030 sans perte de salaire qui a été retoquée à 65 % des votants. Selon Mélanie, une des participantes, « cette proposition est totalement déconnectée de la réalité, indéfendable dans le contexte actuel. Elle discrédite nos travaux »[1]Les Échos, Convention pour le climat : l’épineuse question du référendum, 22 juin 2020, p. 2..

Dommage parce qu’elle posait la question de la décroissance de nos économies et de la réappropriation de notre temps pour une meilleure qualité de vie. Là encore, si une telle mesure avait été maintenue par la CCC, elle aurait pu être l’occasion d’un débat citoyen autour d’un référendum. La CCC a hélas préféré interdire ce débat : le charme discret de la politique calibrée par le tirage au sort…

Cette très « réaliste » CCC s’est autorisée une taxation quasi inoffensive des dividendes : 4 %. On se demande d’ailleurs pourquoi elle en est arrivée à ce taux de 4 % : pourquoi pas 5 % ?Franchement, 4 % en moins sur des dividendes destinés à des personnes qui n’en ont pas vraiment besoin pour vivre, cela aurait dû passer au milieu des autres mesures. Et bien non. Emmanuel Macron retoque cette mesure bénigne et, dans sa logique, il a raison. Non pas en tant que président des riches : si cette mesure avait été adoptée, les riches auraient été un peu moins riches… mais toujours riches. Mais en tant que président et garant d’un système : celui qui veut que l’investissement reste dans des mains privées, que celles et ceux qui ont de l’argent dirigent les entreprises en lieu et place de celles et ceux qui y travaillent et qui utilisent les biens et services produits. Un président défenseur d’un système capitaliste appelé à sauver la planète après l’avoir bien endommagée.

Toute taxation des dividendes et du capital est de nature à dissuader les investissements privés qu’ils soient « verts », « gris » ou franchement nocifs. Une taxation des dividendes de 4 % réduit mécaniquement la valeur des investissements de 4 % et réduit l’incitation à investir. Un système qui prétend taxer les dividendes à 90 % est tout simplement illusoire : cela revient à dire à l’investisseur que s’il perd, il perd tout mais que s’il gagne, il ne conservera alors que 10 % de son gain. Difficilement crédible.

Le scrutin de dimanche dernier a été marqué par une montée extraordinaire – et salutaire – de l’écologie politique. Il faut certes relativiser cette vague compte tenu d’une abstention massive, notamment chez les jeunes et dans les couches populaires. Mais elle avait le parfum d’une Union de la gauche, cette fois-ci orientée sur le terrain d’une écologie très sociale, qui pourrait constituer une alternative face au duo peu reluisant « libéralisme autoritaire » contre « droite populiste ».

Mais gagner des élections ne suffit pas : il faut aussi réussir et il y a un débat stratégique que l’on ne peut guère éviter. Allons-nous nous engager sur la voie de la taxation des profits, du capital et des revenus financiers ou allons-nous nous engager dans un changement profond de société ? Dans le premier cas, cela revient à laisser faire la formation des profits pour les taxer a posteriori en s’illusionnant que les investissements privés se poursuivront dans ce nouveau contexte. Il s’agit d’une drôle de politique qui ne pose jamais la question du pouvoir économique. Ou au contraire, allons-nous combattre les profits en augmentant les salaires et les cotisations sociales, notamment par la réduction du temps de travail, en posant simultanément la question de l’éviction des actionnaires et de la réappropriation des entreprises par les salarié.es et les usager.ères ?

Macron a rejeté une taxation bénigne pour pouvoir s’appuyer sur l’investissement privé dans la transition écologique : il est, de ce point de vue, conséquent avec lui-même. Toute proposition de taxation du capital revient à nier son rôle dans le financement de l’économie et appelle à son remplacement par du financement public. Dès lors, pourquoi laisser les profits se former pour les reprendre ensuite ? Pourquoi ne pas les abolir par la hausse de la part des salaires et cotisations sociales dans la valeur ajoutée ouvrant ainsi la voie à une véritable démocratie économique ?

References

References
1 Les Échos, Convention pour le climat : l’épineuse question du référendum, 22 juin 2020, p. 2.