Face au low cost, mettre « hors marché » une partie des revenus

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La course au meilleur rapport qualité-prix conduit souvent au moins-disant social, engendrant de la précarité et de l’exclusion dans nos sociétés. Si l’attitude des consommateurs est légitime, il urgent d’y mettre un contrepoids. Ceci ne peut se faire qu’en mettant « hors marché » une partie des revenus qui seront distribués de façon totalement égalitaire aux producteurs.

En tant que consommateurs, nous voulons toujours le maximum pour notre argent : les prix les plus bas en fonction d’une qualité donnée, ce qui s’appelle le « meilleur rapport qualité/prix ». Face à nous, se trouvent une myriade d’entreprises qui nous fournissent ce dont nous avons besoin ou ce que nous désirons, qui sont, plus ou moins et de façon variable selon les secteurs, en concurrence les unes par rapport aux autres. Ces entreprises que l’on définit comme B2C (Business to consumer) se fournissent auprès d’autres qui ne vendent jamais ou rarement aux consommateurs et que l’on désigne comme B2B (Business to business). Les desiderata en terme de rapport qualité/prix remontent ainsi la chaîne de production.

La concurrence pousse au moins-disant social

Cette situation de concurrence n’est pas mauvaise en soi : elle pousse les entreprises à innover en permanence pour pouvoir se maintenir. Ceci signifie rechercher de nouveaux procédés qui économisent du temps de travail, ce qui dégage du temps libre pour soi ou pour produire autre chose en faisant émerger de nouveaux produits et services. Nous travaillons globalement moins qu’au début du siècle passé mais nous consommons encore plus : les gains de productivité ont été prioritairement absorbés par une augmentation du niveau de vie et secondairement par une réduction du temps de travail. Le seul problème, et de taille, est que cette augmentation de la productivité et du niveau de vie a été obtenue par l’utilisation d’énergies carbonées responsables du réchauffement climatique accompagnée d’une perte fabuleuse de biodiversité. Ceci impose la mise en place de diverses régulations.

Les gains de productivité se sont, de toute façon, largement ralentis ces dernières années et, désormais, le régime de la concurrence pousse plus sur le moins-disant social que sur l’innovation. Les entreprises font souvent appel à des fournisseurs situés dans des pays avec des coûts de travail inférieurs quand celles-ci ne délocalisent pas tout simplement leur propres usines. En ce qui concerne les emplois non délocalisables, on a vu apparaître l’économie des plateformes numériques avec ses « indépendants » soumis à des horaires excessifs qui permettent à peine de dégager l’équivalent d’un Smic. Comment mettre un terme à cette pression à la baisse ?

Garantir un socle de revenu à chaque personne en emploi

Une économie est un ensemble d’entreprises qui se partagent les revenus par des mécanismes marchands où la notion de rapport de force est omniprésente. Ce partage des revenus entre entreprises est celui qui s’opère en amont de ce que la comptabilité nationale appelle la distribution primaire des revenus entre les travailleurs et les propriétaires qui déterminent les salaires (avec les cotisations sociales), le revenu mixte des indépendants, les dividendes et les intérêts. S’opère ensuite la distribution secondaire du revenu qui réalise des redistributions de revenus par les impôts et les cotisations sociales (comptabilisés dans la distribution primaire) aboutissant à l’émergence de nouveaux revenus tels que des pensions de retraites, des indemnités maladie ou chômage et divers minima sociaux.

Pour mettre un terme à cette pression à la baisse, il est nécessaire de garantir à chaque personne qui participe à la production un socle de revenu (le Smic par exemple) avec les cotisations sociales correspondantes. Le plus efficace consiste à travailler le plus en amont possible, entre les entreprises et avant la distribution primaire des revenus, en mutualisant la partie nécessaire des flux de trésorerie d’activité (FTA) des entreprises pour assurer à chaque personne ce socle de revenu.

Il s’agit donc d’établir un régime obligatoire auquel toutes les entreprises (sociétés, indépendants, coopératives, associations… ) participent. À chaque fin de mois, l’entreprise calcule ce qu’elle doit (un pourcentage de ses FTA) et ce à quoi elle à droit (un socle de revenu par personne en équivalent temps plein dans son entreprise). Si l’entreprise doit plus que ce à quoi elle a droit, elle paye immédiatement au régime. Si c’est l’inverse, elle recevra cette différence les jours qui suivent.

Désormais, la rémunération de toute personne, salaire comme revenu mixte des indépendants, n’est plus payé par l’entreprise elle-même comme c’est le cas actuellement mais par l’ensemble des entreprises pour la partie « socle » et par l’entreprise au-delà de ce seuil.

Ceci revient concrètement à mettre « hors marché » une partie de ce que produisent les entreprises de façon à la répartir de façon strictement égalitaire entre tous les producteurs, ce qui mettra un coup d’arrêt définitif au moins-disant social qui disloque nos sociétés.

Un système largement favorable à l’emploi et à l’investissement

Un tel système sera largement favorable à l’emploi puisque tout individu exerçant une activité d’indépendant est certain de recevoir ce socle de revenu. De même, toutes les entreprises seront incitées à embaucher parce que la partie « socle » du salaire n’est plus payée par elle mais par l’ensemble des entreprises.

Les délocalisations ou le recours à des fournisseurs extérieurs à l’économie seront largement moins plébiscités dans la mesure où il faudra que l’entreprise trouve désormais moins cher que la seule partie non mutualisée des rémunérations.

Le recours à des auto-entrepreneurs ou des indépendants pour comprimer les coûts de l’entreprise seront désormais certes toujours possibles mais ceux-ci se verront garantir un socle de revenus payé par l’ensemble des entreprises qui s’additionnera à ce qu’ils obtiendront dans leurs transactions avec les donneurs d’ordres, s’ils ont encore envie de travailler dans de telles conditions…

On pourrait aussi penser qu’un tel système mettra un terme définitif à l’innovation. Le choix du flux de trésorerie d’activité comme base de la mutualisation en lieu et place d’une estimation comptable de la valeur ajoutée permet ainsi de déduire de celle-ci tout achat de l’entreprise, notamment les actifs de long terme. À ce titre, le système de mutualisation d’une partie des FTA permet à l’ensemble des entreprises de soutenir toute entreprise qui investit et innove.

La mise hors marché d’une partie des rémunérations pour garantir à chaque producteur un socle de rémunération accompagné d’une protection sociale permettra de restaurer la cohésion de nos sociétés en assurant à toutes et à tous un emploi salarié ou indépendant de son choix. Loin d’être une solution figée, le principe de mutualisation des flux de trésorerie entre entreprises doit s’inscrire dans le débat politique qui en déterminera les paramètres.

Photo by ev on Unsplash