La comédie des « charges qui pèsent sur les entreprises »

Partager

Le patronat n’a de cesse de fustiger les prélèvements obligatoires comme obstacle à l’emploi. En dépit de nombreuses baisses de charges ces dernières années, leur bilan en terme de créations d’emplois est faible par rapport à leurs coûts sur les budgets publics. La raison est simple à comprendre : l’emploi constitue toujours un risque pour l’entreprise et une baisse de prélèvements ne fait que baisser ce risque à la marge. Par contre, subventionner significativement chaque emploi aura un effet réellement bénéfique, d’autant que ces subventions peuvent très bien être financées par les entreprises elles-mêmes sans aucune sollicitation des budgets publics.

Le 12 septembre, le premier ministre annonçait que la promesse de suppression de la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ne se fera pas en 2023 mais sera étalée sur deux ans afin de limiter le déficit de cette année. Les entreprises gagneront 4 milliards d’euros en 2023, puis 8 milliards d’euros dès 2024. Le patronat a alors immédiatement protesté devant cet ajournement qui ne fait que reporter d’une année la moitié de la suppression de la CVAE promise[1]https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/impots-de-production-le-patronat-en-colere-1787029.

Le débat de fond autour de cet échange est l’effet des prélèvements obligatoires sur les entreprises. Pour le patronat, ces prélèvements nuisent à la compétitivité économique de la France et devraient donc être réduits au minimum. Ce principe a été appliqué lors de la mise en place du Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) instauré sous la présidence Hollande en 2013. Ce crédit d’impôt s’établissait à 4 %, puis 6 % de la masse salariale en dessous de 2,5 Smic. Le CICE a coûté au budget public 19 milliards d’euros en 2018. Lors de sa mise en œuvre en 2013, Pierre Gattaz, président du Medef à l’époque, annonçait fièrement que cela devait créer un million d’emplois.

Après quatre années de mise en œuvre, l’Insee a chiffré l’impact du CICE : 160 000 emplois créés ou sauvegardés entre 2013 et 2016. Le coût annuel de chaque emploi privé pour l’État est donc de 118 750 euros, ce qui est ahurissant. Un simple calcul nous montre que pour 19 milliards d’euros, l’État aurait pu embaucher environ un million de personnes au Smic, exactement le million d’emplois que le Medef promettait de la part du secteur privé. De même, en conservant les 8 milliards de CVAE, l’État pourrait créer 360 000 emplois publics. Est-ce qu’en supprimant la CVAE, l’économie privée va en créer autant ? Personne n’y croit sérieusement et comme pour le CICE, le rendement de la mesure en terme d’emplois sera infime.

L’explication de ce phénomène est relativement simple à comprendre. Pour une entreprise, embaucher comporte toujours un risque : celui que la valeur ajoutée que va générer le salarié soit inférieure au coût salarial et que l’entreprise enregistre alors une perte. On peut donc penser qu’en réduisant des charges – que cela prenne la forme d’une cotisation sur salaire ou sur la valeur ajoutée – l’entreprise sera incitée à embaucher plus. Si cela est exact, le rendement d’une telle mesure est toujours faible : en annulant 8 milliards de CVAE, cela représente, pour chacun des salariés du privé (20,7 millions), 32 euros mensuel. Et ce n’est, bien sûr, pas une baisse de 32 euros de charges mensuelles par salarié qui sera capable de faire la différence et d’enclencher une spirale vertueuse de créations d’emplois !

Si on souhaite créer des emplois dans l’économie privée, il va donc falloir créer une incitation directe à l’embauche : une allocation significative qui sera donnée pour chaque emploi et qui diminuera le risque que prend l’entreprise en embauchant. Nous allons prendre pour exemple une allocation de 1400 euros mensuel par emploi, allocation qui, dans son montant, n’a plus rien à voir avec les 32 euros que réalise la suppression de la CVAE. Cette allocation couvrirait environ 75 % du coût total d’un salarié au Smic (1847 euros). Ceci signifierait alors que le risque de l’entreprise pour embaucher au Smic n’est plus de 1847 euros mais de 447 euros (1847 – 1400). Pour un salaire à 2500 euros (coût total : 3750 euros), le risque est alors réduit à 2350 euros (3750 – 1400). Une telle situation poussera alors les entreprises à embaucher.

On pourrait penser qu’un tel système favoriserait les bas salaires puisque le risque y est proportionnellement plus réduit. Dans la réalité, il s’agit d’une baisse généralisée du risque qui incitera les entreprises à embaucher largement, ce qui multipliera les offres d’emplois au point où les individus seront en position de choisir leur emploi et poussera l’ensemble des salaires à la hausse.

Nous avons pris comme exemple un montant d’allocation de 1400 euros par emploi. Cela peut être moins ou plus jusqu’à un maximum égal au coût du salaire minimum : il s’agit d’un choix politique. Plus le montant de l’allocation sera faible et moins l’effet sur l’emploi se fera sentir. Inversement, plus le montant de l’allocation sera significatif et plus les entreprises seront incitées à embaucher au point où les individus pourront réellement choisir leur emploi.

Il nous reste cependant un point essentiel à résoudre. Comment financer une allocation de 1400 euros par emploi ? Compte tenu des montants envisagés (348 milliards annuels), il est exclu de faire appel à l’État dont la vocation n’est nullement de financer l’économie privée et dont le budget est déjà du même ordre. La seule possibilité est de le faire financer par les entreprises elles-mêmes, ce qui est le principe de la proposition de Sécurité économique.

Sur la base d’une mesure proche de la valeur ajoutée (assiette de la CVAE) que sont les Flux de trésorerie d’activité, une allocation de 1400 euros mensuels pourra être financée par une cotisation de 31 % de ceux-ci. Une telle cotisation n’annulera aucunement les effets positifs sur l’emploi. L’allocation réduit dans tous les cas les risques inhérents à l’emploi et l’effet combiné de l’allocation et de la cotisation ne fait que redistribuer ce dont les entreprises disposeront : elles bénéficieront désormais d’une allocation de 1400 euros par personne en emploi et de 69 % (100 – 31) de ce qu’elles ont produit pour payer les salariés. En effet, un tel système n’est pas un prélèvement supplémentaire sur les entreprises, ni une subvention à la charge de l’État : elle n’est qu’une redistribution qui s’effectue entre les entreprises et qui favorise les entreprises qui emploient au détriment des autres.

En savoir plus : le site de la Sécurité économique

Photo by Marcin Simonides on Unsplash